Conférence des évêques de la Région Nord de l’Afrique (CERNA)
au terme de son assemblée à Tanger (Maroc)
3 au 6 avril 2016
Les évêques et les vicaires généraux de la CERNA se sont retrouvés à Tanger le dimanche 3 avril, pour la première fois sous la présidence de Mgr Paul DESFARGES, évêque de Constantine & Hippone et administrateur apostolique du diocèse d’Alger, en présence du nonce apostolique au Maroc, Mgr Vito RALLO, à l’occasion de leur assemblée annuelle, la précédente s’étant déroulée en mars 2015 en même temps que leur visite ad limina.
Ont participé comme invités Mgr Martin HAPPE, évêque de Nouakchott (Mauritanie) et Mgr Domenico MOGAVERO, évêque de Mazara del Vallo (Italie).
Ils ont commencé par échanger sur la situation de leurs pays et de leurs Eglises :
* L’Eglise en Tunisie regarde avec confiance le chemin que poursuit le pays depuis la révolution de 2011, par-delà les embûches et les épreuves comme les terribles attentats du Bardo, de Sousse et de Tunis au cours de l’année écoulée, et la tentative récente d’invasion de la région de Ben Guerdane. A partir de la lettre pastorale de la CERNA Serviteurs de l’Espérance de décembre 2014, l’archidiocèse s’est engagé dans une dynamique de réflexion diocésaine. Il poursuit son travail dans les écoles, et s’attache à trouver les moyens avec Caritas de vivre la solidarité, comme avec les migrants et les détenus chrétiens isolés.
* L’Eglise au Maroc est témoin du travail de réforme et de développement du pays, et de la manière dont celui-ci est en même temps résolument tourné vers l’Afrique subsaharienne autant que vers le reste du monde. Au-delà des intentions proclamées par la Conférence de Marrakech, il y a des initiatives audacieuses comme la création d’un Ribat interreligieux en lien avec le Conseil supérieur des Oulémas. Tout en menant plusieurs initiatives pastorales avec les jeunes ou pour la formation, l’Eglise est engagée dans de multiples services avec les personnes en difficulté, où il faut régulièrement discerner jusqu’où elle peut et doit s’engager.
* Le préfet apostolique de Laâyoune-Sahara a fait part des importants projets d’investissements annoncés lors de deux visites effectuées dans sa région par le roi du Maroc en novembre et février derniers, et des répercussions des déclarations du Secrétaire Général de l’ONU au mois de mars. Le visage de la communauté chrétienne évolue avec le départ d’une partie du personnel de la MINURSO et la présence nouvelle de migrants.
* L’Eglise en Algérie, tout en se réjouissant de la stabilité du pays, relève les défis qu’il doit affronter après l’effondrement des prix des hydrocarbures et les mutations de plusieurs pays de la région. Elle est depuis 2015 dans l’attente de la nomination d’un nouvel archevêque à Alger, suite à la nomination de Mgr Ghaleb Moussa Abdallah BADER comme nonce apostolique au Pakistan, et dans l’attente de la nomination d’un nonce apostolique. L’évêque du Sahara, atteint par la limite d’âge, attend la nomination d’un successeur.
Le centenaire de la mort de Charles de Foucauld (1er décembre 2016) est l’occasion d’approfondir le message de celui qui s’est voulu « frère universel ». Le vingtième anniversaire de la mort de 19 prêtres et religieux (entre 1994 et 1996) parmi de très nombreuses autres victimes est l’occasion d’en faire mémoire par divers événements. Ces deux derniers points ont donné lieu chacun à une lettre des évêques d’Algérie à leurs fidèles. La vitalisation spirituelle des fidèles ne peut se faire de manière vraie sans approfondir leur vocation à la rencontre avec les croyants de l’islam. Ce chemin passe par des itinéraires différents selon l’histoire et l’origine de chacun.
* En ce qui concerne la Libye, Mgr Giovanni MARTINELLI, vicaire apostolique de Tripoli, n’a pas pu se joindre à nous pour raisons de santé, et le Saint-Père a accepté en février 2016 la démission de Mgr Sylvester MAGRO, vicaire apostolique de Benghazi, parvenu à l’âge de 75 ans. Mgr George BUGEJA, évêque coadjuteur à Tripoli, ordonné évêque et entré en fonction en octobre 2015, et devenu également administrateur apostolique du vicariat de Benghazi en février 2016, était dans l’intention de participer à notre assemblée, mais les troubles survenus dans les jours précédant son départ ont rendu son déplacement impossible. Une correspondance de ce dernier nous a cependant informés sur la manière dont la communauté chrétienne vit ce temps de crise, avec le départ de beaucoup de travailleurs expatriés et la situation précaire que vivent les migrants. Il s’efforce de soutenir les uns et les autres avec quelques prêtres franciscains, dans les lieux où ils peuvent accéder. Quelques communautés religieuses poursuivent courageusement leur service, tandis que plusieurs autres ont été rappelées par leurs responsables dans leurs pays respectifs. Ils prient et agissent modestement à leur niveau, espérant que les parties en présence arriveront à restaurer la paix et la stabilité, et qu’un nouveau départ sera possible pour le pays et pour l’Eglise.
* Mgr HAPPE nous a parlé de l’actualité de la Mauritanie et de son diocèse qui vient de célébrer le cinquantenaire de sa fondation. Il nous a partagé sa joie de voir s’élargir et se diversifier la communauté chrétienne et renouveler les agents pastoraux. Mgr MOGAVERO nous a partagé son regard sur la situation de l’Italie, le travail des institutions ecclésiales qui accueillent 20% des migrants arrivés ces dernières années, et son regard critique sur l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. Nous ressentons de l’indignation devant les conséquences très lourdes de cette politique sur nos pays et tout particulièrement sur la vie des migrants.
Par-delà la diversité réelle de nos contextes, la vie des chrétiens y est souvent le seul évangile que peuvent lire les habitants de nos pays. En termes de statistiques, notre nombre est insignifiant et baptêmes ou mariages sont très peu nombreux. Mais il nous semble qu’au travers des multiples rencontres que nous vivons et des services où nous sommes engagés ensemble avec des amis musulmans, le Royaume de Dieu est à l’œuvre.
Nous avons encore mesuré au cours de cette rencontre combien il nous arrive d’être pris dans des situations politiques ou sociales compliquées et qui nous dépassent, qui peuvent créer des tensions entre nos divers pays, qui divisent nos sociétés. Notre mission n’est pas de prendre comme Eglises des positions de principe sur ces questions complexes, mais de nous situer aux côtés de ceux qui souffrent, qui cherchent amitié et aide pour vivre dignement. Cela nous situe sur des lignes de crête, nous vaut parfois des incompréhensions. Partager entre nous sur ces questions peut être aussi un défi, mais c’est l’occasion de vérifier notre catholicité, notre souci d’une fraternité qui aille au-delà des passions des communautés humaines dont nous partageons la vie.
L’assemblée a fait le point sur un certain nombre de questions. Elle a d’abord repris quelques aspects de sa visite ad limina de l’année dernière. Avec Mgr VESCO qui l’y représentait, elle est revenue sur le Synode pour la famille d’octobre dernier, qui donne lieu à l’Exhortation apostolique Amoris laetitia. Elle s’est interrogée sur la réception de sa lettre pastorale Serviteurs de l’espérance traduite et diffusée en quatre langues au printemps 2016. Elle a fait le point sur les liens assurés par l’un ou l’autre avec d’autres instances ecclésiales : le Symposium des Conférences épiscopales d’Afrique et Madagascar dont l’Assemblée plénière se tiendra en juillet prochain à Luanda (Angola), d’autres Conférences épiscopales, la Commission mixte Maghreb – Europe du sud, la Commission francophone pour les textes liturgiques, etc. En ce qui concerne la liturgie, il a été convenu d’entamer une mise à jour du Propre d’Afrique du Nord (Lectionnaire et Liturgie des Heures).
Cette année, les évêques et leurs vicaires généraux avaient décidé de travailler sur la dimension africaine de leurs pays et de leurs Eglises. Mgr Benjamin NDIAYE, archevêque de Dakar, a accepté de venir soutenir notre réflexion, à laquelle ont également participé une universitaire marocaine, Madame Malika HAOUZIR et deux prêtres venus d’Afrique subsaharienne servir dans l’Eglise du Maroc, l’abbé Germain GOUSSA du Burkina-Faso et le frère Jean-Baptiste KASHABA MAKIRO, ofm du Congo RDC.
Nos pays du Maghreb accueillent des étudiants depuis de longues années. Traditionnellement pays d’émigration, ils sont aussi devenus pays de transit, mais deviennent également peu à peu pays d’accueil, à la mesure des migrations importantes qui marquent le continent, mais aussi de l’externalisation de ses frontières sud par l’Europe. L’attraction de l’Europe ou le désir de tenter sa chance hors du continent se heurtent à l’impossibilité croissante de s’y rendre légalement. Nous nous sommes interrogés sur les motivations des migrants et le désordre du monde.
Le Maroc a fait l’option de se tourner vers l’Afrique noire et de l’intégration des subsahariens vivant sur son sol : ouverture de ses frontières et multiplication de ses lignes aériennes vers les pays subsahariens, régularisation des sans-papiers, scolarisation des enfants, soins pour tous dans les institutions publiques de santé, dispense des cours de religion musulmane pour ceux qui ne sont pas musulmans, possibilité pour les étrangers de fonder des entreprises et de rapatrier leurs capitaux, les signes sont nombreux d’une ouverture du pays autant vers le sud que vers le nord.
Nos fidèles d’Afrique subsaharienne sont de plus en plus nombreux ; ils représentent de 50 à 90% de nos communautés. Des prêtres et religieux des mêmes pays viennent aussi prendre part à notre mission ; entre agents pastoraux d’origines culturelles différentes, il faut apprendre à se connaître et s’estimer dans nos différences. C’est une joie pour nous, que l’Eglise soit plus universelle, moins européenne, rajeunie, et de cette entraide ecclésiale sud-sud. Ce sont en même temps de grands défis de dépasser le décalage culturel entre les pasteurs de nos Eglises et ces nouveaux fidèles, de venir en aide aux migrants lorsqu’ils sont en délicatesse avec la loi, et d’aider chacun à entrer dans la vocation de notre Eglise qui n’est pas centrée uniquement sur le soutien spirituel de ses membres, mais se veut témoin de la charité du Christ pour tous, voulant entrer en relation avec nos frères et sœurs musulmans. Ce n’est pas facile à cause des préjugés et de la réalité d’un certain racisme. L’icône de la Vierge de Vladimir, présente dans beaucoup de nos oratoires, représente une Vierge de tendresse dont l’enfant entoure de ses bras le cou de sa mère. Sur beaucoup de copies de cette icône, une main de l’enfant est blanche… et l’autre noire. Même si cette évolution de sa peinture n’était pas dans l’intention de l’auteur, il ne nous est pas interdit d’y voir un signe : par ses fidèles comme par ses prêtres et religieuses, si une main du Christ au Maghreb est blanche, l’autre est devenue noire.
Nous avons beaucoup apprécié la présence de Mgr Benjamin NDIAYE qui nous a aidés à prendre un peu de recul par rapport à ces réalités.
En effet, si les migrations nous interpellent, si elles comportent dangers et douleurs, dans le même temps notre patrimoine religieux nous dit l’importance spirituelle de la mobilité, pour se mettre à l’écoute de l’autre et de Dieu même, sortir de nos enfermements, s’ouvrir à la fraternité. A la suite d’Abraham, de Marie en Visitation, ou avec les disciples rejoints sur le chemin d’Emmaüs, nous savons que Dieu nous rejoint et se dit en chemin. Le Saint-Père parle d’homo viator, dans la bulle d’indiction du Jubilé de la Miséricorde (n°14). Quel signe des temps disent à notre foi ces personnes en migration ? Nous avons médité avec le psaume 106 sur la présence de Dieu à son peuple dans ses tribulations.
Si l’Europe s’affole de ces migrations, elle est loin d’être la seule et la plus touchée. Pas un pays d’Afrique qui n’accueille son lot de déplacés, réfugiés et migrants. Certains groupes peuvent espérer islamiser l’Europe, mais se vivre comme citadelle agressée est-il vraiment la meilleure manière de réagir ? Comme nous le rappelait Mgr RALLO, « Ce monde finira, mais un autre monde surgira » disait déjà Augustin en voyant les Vandales assiéger Hippone. Faut-il se crisper sur le maintien de l’ancien monde ou bien, forts de notre foi, accueillir de manière dynamique le monde nouveau qui vient ? A ce titre, nous avons été émerveillés de tout ce qu’entreprend l’Eglise à Tanger : toute chose passe, mais la charité ne passe pas.
La tenue de notre assemblée comportait en effet la rencontre de l’Eglise locale. Nous avons admiré la belle ville de Tanger et avons été chaleureusement accueillis par le diocèse et son pasteur Santiago AGRELO MARTINEZ. Nous avons participé à la messe dominicale à la cathédrale et prié au monastère des Carmélites. Nous avons été touchés par la visite de plusieurs œuvres de l’Eglise locale en faveur des migrants, des personnes démunies, en difficulté ou handicapées. Une soirée culturelle avait été préparée en notre honneur par les membres subsahariens de la communauté.
La prochaine assemblée de la CERNA se tiendra au Sénégal fin janvier 2017. Elle comportera un temps de retraite spirituelle et un temps de travail.
Tanger, le 6 avril 2016
+ Paul DESFARGES, président de la CERNA
avec les membres de la Conférence
– le site du diocèse de Rabat : www.dioceserabat.org
– le site du diocèse de Tanger : diocesistanger.org
– le site du diocèse de Tunis : www.diocesetunisie.org.
– le site de l’Église catholique en Algérie : www.eglise-catholique-algerie.org
– le site de l’Eglise catholique en Libye : http://ofm.org.mt/churchinlibya/
– la Lettre pastorale de la CERNA « Serviteurs de l’Espérance » à l’adresse : http://eglise-catholique-algerie.org/articles.php?lng=fr&pg=185
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